GILLES BALMET

INK MOUNTAINS 2009 - 2014

Lavis d'encre de Chine et peinture à la bombe sur papier

70x100 cm / 50x70cm / 29,7x42 cm

 

 

Ink Mountains

 

Cette série est née d'expériences d'interactions entre des feuilles de papier avec des lavis d'encre de Chine et des bacs ou des piscines d'eau installés dans mon atelier. Après plusieurs séries d'œuvres utilisant toute la surface des feuilles par une immersion totale dans les bacs, j'ai décidé de ne travailler que sur une partie du support, en ne trempant que la partie inférieure de la feuille de papier dans mes bains préparés et en utilisant la partie laissée en réserve pour suggérer par contraste des ciels blancs à la luminosité intense au-dessus de reliefs indéfinis. Ces paysages plus ou moins harmonieux ou chaotiques évoquent toutes sortes de reliefs, allant du montagneux au désertique, en passant par des étendues rocheuses d'autres planètes ou tout au moins l'idée que l'on s'en fait. Le dessin de ces paysages et le type de reliefs proposés sont conditionnés par les mouvements que j'exerce sur les feuilles de papier au cours de l'immersion de celles-ci dans le bain d'encre et de peinture acrylique à la bombe, déposée à sa surface. Ces matières qui refusent de se mélanger s'additionnent finalement en s'accrochant au support tout en se diluant et en se déformant en suivant les courbes et les allers et venues que mes gestes font subir à chaque feuille de papier. Des pulvérisations de peinture acrylique viennent renforcer les textures des œuvres tout en réagissant à l'humidité, et se fixer aléatoirement sur les reliefs dessinés, parsemant les paysages de petits éléments qui évoquent des végétaux, et amplifier le réalisme des images. Ces dépôts de matières sur les feuilles sont ensuite conditionnés par la gravité subie pendant leur accrochage vertical sur des étendages de cordes parcourant l'atelier. L'aspect définitif des oeuvres n'intervient que plusieurs heures après leur création et la rapide sédimentation des matières. Dans la série Ink mountains, je m'attache à reproduire certains processus naturels géologiques de sédimentation, de mouvements tectoniques et d'entropie dans un laps de temps extrêmement court. Cette rapidité dans la création d'une image évoque le processus de révélation d'une photographie dans les cuves d'un laboratoire et le plaisir ludique qui naît de son apparition, appliquée ici à des techniques relevant de la peinture. La question de la production de paysages, à la précision quasi photo réaliste, à partir de bains de matière dont on imagine mal les œuvres potentielles qu'ils contiennent, est ici centrale, comme la réalisation d'une sorte d'alchimie de la matière. La transformation de ces bains noirs inertes en images, représentations fictives de paysages crédibles, pourrait aussi constituer une métaphore du rôle de l'artiste qui agit comme une sorte de révélateur d'images potentielles enfouies dans la matière. Quant au caractère monumental de ces paysages, celui-ci en fait des illustrations possibles de la quête existentielle et métaphysique issue de la confrontation de l'être humain à l'immensité naturelle. Gilles Balmet

 

Ink mountains

The Ink Mountains originated from experiments with interactions between sheets of paper with an Indian inkwash and basins or small swimming pools set up in my studio. After a number of works using the entire surface of the sheets by a total immersion in the baths I decided to work only part of the paper by dipping only the lower part of the
sheet in my baths and by using the upper part to suggest by contrast white skies with an intense luminosity above undefined
reliefs, varying from the mountainous to the desert as well as rocky ranges from other planets or at least what we imagine these to be like.The drawing of these landscapes and the types of relief proposed are conditioned by the way Imove the sheets when they're immersed in the bath of ink and acrylic spraypaint deposed on its surface. In the end these immiscible substances unite by adhering to the support as they're being diluted and deformed according to the way I bend andmove back and forth each paper sheet. Fine particles of acrylic paint join and enhance the textures of the works while reacting to the humidity, and fix themselves at random on the drawn reliefs, studding the landscapes with small bits that recall plants and enhance the realism of the images. These sediments of matter on the paper sheets are then subjected to gravitywhile hanging vertically fromdrying- lines throughout the studio. The final aspect of theworks emerges several hours after their creation and the rapid sedimentation of the matter. In the Ink Mountains I try to reproduce certain natural geological processes of sedimentation, tectonicmovements and entropy in an extremely short timespan. The rapidity of the creation of an image recalls the revelationary process of a photograph in the basins of a photographer as well as the playful pleasure its appearance induces, applied here to painting techniques.The question of producing almost photorealistic landscapes frombaths ofmatter, that - however hard to imagine - hold potentialworks, is central here, like some sort of achieved alchemy of matter. The transformation of these black inert baths into images, fictive representations of credible landscapes, can also constituate ametaphor for the role of the artist who acts like some sort of revealer of potential images buried in the matter. The monumental character of these landscapesmakes thema possible illustration of the existential and metaphysical quest that stems from the confrontation ofMan with Nature's immensity.

Gilles Balmet, traduction Halbo Kool, éditions Marguerite Wakine, oeuvres sur papier 1 et 2

 

L'Encre qui peignait les montagnes.

Est-ce par la puissance d'une pensée magique qu'un lavis d'encre, en se retirant simplement de la surface d'un papier à dessin, peut accoucher d'une montagne et engendrer, par les plissements géologiques qui s'y forment et s'étagent, d'étranges décors vallonnés et déserts ? Face aux œuvres de Gilles Balmet la question se pose de savoir si, au-delà d'une alchimie des fluides que l'artiste pratique dans le retranchement de son atelier, ses Ink Mountains ne relèveraient pas d'une constitution naturelle de la peinture. Ainsi les substances picturales initiales seraient aptes à produire spontanément des paysages grandioses et fantastiques à l'image de ceux que l'on découvre inscrits au cœur des porphyres, des agates ou de la Pietra Paesina, ce marbre toscan qui une fois tranché et poli nous subjugue tant. Par un élémentaire procédé d'extraction l'artiste, comme le marbrier, ne ferait-il pas simplement apparaître des figures qui seraient déjà contenues dans les profondeurs d'une matière à l'état brut ? Alors progressivement révélée par les bains du papier dans une cuve, comme une photographie dans son révélateur, l'image serait donc latente dans l'informel de ces dilutions de produits aux qualités non miscibles. Mais loin des mécaniques froides qu'elle avait supposées, la raison nous dicte une explication logique associant une connaissance sensible des matériaux à l'habile savoir-faire manuel de l'artiste. Lors de ses manipulations, les antagonismes de l'eau et des essences grasses se conjuguent ou se rejettent sur le papier en différentes densités et oppositions contrastées devenant sous ses yeux des sites montagneux ; les courbes imposées à la feuille façonnent le mouvement des monticules sur lesquelles des dépôts de matières acryliques sur l'encre délavée simulent des buissons d'épineux, des lichens ou des aspérités de roches affleurantes sous un couvert de givre. Bien d'autres évocations paysagères surgissent et devant ces planches sobrement encadrées, l'illusion nous stupéfie d'abord puis l'on se laisse projeter dans le réalisme de ces représentations comme on avait voulu croire en la magie de leur apparition.

Fasciné par les paysages de Madagascar, Max-Pol Fouchet écrivait : " Me serais-je attaché à ces croupes limées, à ces mols évasements, à ce paysage où le pittoresque luit à peine comme une braise cendreuse, si les apparences n'y tendaient à devenir, de leur propre mouvement, transparences ? " Si, épargnés par les bains successifs, les blancs du papier forment des ciels laiteux et sans nuages, comme surexposés, tous les phénomènes telluriens de ces contrées dévoilées ne sont en revanche que nuances et irisations subtiles dont les alluvions hésitent souvent entre une transcription positive ou bien négative d'un paysage sédimentaire. Alors le poète peut encore renchérir : " Regardez ce paysage. Les collines sont les dernières vagues d'une mer qui se calme et s'apaise. Usées, elles témoignent de l'usure lente. Ce relief murmure ". Et ces dômes émoussés inspirés d'un Massif Central plutôt qu'alpin, évoquent les lentes érosions et les ravinements que le temps et les intempéries imposent aux reliefs les plus vifs. Et ces Ink Mountains, nous les entendons bien nous dire ce que nos sens interprètent comme des algues déposées sur une plage par le ressac des vagues, comme le terrain calcaire parsemé de brindilles calcinés d'une calanque incendiée, comme des fonds sableux éclairés par les reflets brillants d'une mer limpide ou des coulées neigeuses sur un volcan éteint depuis des ères révolues. Surgissant d'un fonds archétypal d'une géographie immémoriale, les dessins de Gilles Balmet déclenchent en nous les projections de toutes nos réminiscences de paysages, comme les œuvres de Roland Flexner nous invitent à la contemplation des variations atmosphériques du globe terrestre à partir seulement d'une bulle d'encre savonneuse éclatée sur une feuille.

Jacques Py, 4 août 2009.

 

The ink that washed mountains

Can the power of a magical thought, just by withdrawing itself fromthe surface of a sheet of paper,make an ink wash give rise to a mountain and generate through geological folds and ranges strange valleyed settings and deserts? Dealing with the works of Gilles Balmet the question presents itselfwhether, beyond an alchemy of fluids practised by the artist in the confinement of his studio, his InkMountains result froma natural quality of painting. If so basic pictorial substances should suffice to produce imposing and fantastic landscapes equalling those found engraved at the very core of porphyry, of agate or of Pietra Paesina, the Tuscanmarble that, once cut and polished, so enchants us.Doesn't the artist just by the process of extraction, like the marble-mason, make appear figures that are already present in the depths of a raw material ? If so the image, progressively revealed by immersing the paper in a basin filled with liquids like a photograph in its developer,would be latent in the rough of these dilutions of immiscible products. Yet far from this assumption of cold mechanics reason prescribes us a logical explanation linking a sensitive knowledge of materials to the artist's skilful manual know-how. During his manipulations, the antagonisms of water and oily substances unite or separate on the paper in different densities and opposite contrasts that becomemountainous sites under his very eyes. Bending the sheet fashions themovement of themounds on which sediments of acrylic matter on washed ink suggest thorny bushes, lichens or the ruggedness of the rockface beneath a veil of frost. Many other landscapelike evocations manifest themselves and facing the images in their plain frames the illusion stupefies us before we venture in the realism of the representations as if we had wished to believe in the magic of their appearance. Fascinated by the landscapes of Madagascar Max-Pol Fouchet* wrote : "Would I have become attached to these rounded-down crests, to these soft slopes, to this landscape where the picturesque hardly glows like ashy cinders, if the appearances wouldn't tend to become, by their own movement, transparent ? " (1) If, spared by the successive baths, the whites of the paper give shape to cloudless and milky skies that seem overexposed, all the tellurian phenomena of these revealed lands are nothing but hues and subtle iridescences whose alluvia often hesitate between a positive and a negative transcription of a sedimentary landscape. The poet can even go further then : " Look at this landscape. These hills are the last waves of a sea that's calming down and getting apeased.Worn, they bear witness of their slow erosion. This relief murmurs. " (2) And these dulled domes, inspired by aMassif Central rather then by theAlps, evoke the slow erosion and the gullying that time and the elements impose on the sharpest relief.We hear what these Ink Mountains are trying to tell us and what our senses interpret as algues that have been deposited on a shore by the waves' undertow, like the limestone ground studded with charred twigs of a burned creek, like sand bottoms lit by the bright reflections of a limpid sea or the snowy colours of a volcan that's been sleeping since time immemorial. The drawings of Gilles Balmet, rising up from an archetypical bottom of an immemorial geography, provoke in us the projection of all our recollections of landscapes, just as the works of Roland Flexner* invite us to contemplate the atmospheric variations of the terrestrial globe through a single soapy ink bubble burst upon a leaf.

Jacques Py, 4 août 2009, traduction Halbo Kool, éditions Marguerite Wakine, oeuvres sur papier 1 et 2