GILLES BALMET

http://gillesbalmet.free.fr

Chrysalides

L'Esad, école d'art et de design d'Amiens, a choisi de présenter le travail de Gilles BALMET pour inaugurer sa galerie. Ce choix s'est imposé naturellement car son oeuvre, alors qu'il a à peine 26 ans, exprime une maturité de pensée qui transcende parfaitement l'ensemble des médiums qu'il utilise. Privilégiant sans cesse le sens, il nous étonne par sa capacité à déployer de multiples moyens d'expression. Or nous connaissons bien, dans les écoles d'art, la difficulté de nos étudiants à intégrer le support dans l'acte de penser l'oeuvre afin d'en réaliser une forme accomplie. Gilles BALMET le réussit. Prenons son travail sur les tests de Rorschah, ces tests destinés à provoquer une interprétation psychologique à partir de la lecture d'une tâche noire aux formes aléatoires. Alors que nous supposions en avoir tout vu, au moment même où nous voudrions nous en dessaisir, Gilles BALMET en propose une multiplication sérielle qui tente d'annuler l'énigme du " un ". Y aurait-il là une proposition de banalisation ? La toile repliée sur elle-même crée des séquences visuelles ordonnées. La trame rassure. Mais le réseau constitué par l'ensemble des figures nous plonge dans une perplexité inquiète. Car l'énigme du " un ", que l'on pourrait supposer dissoute par la proposition de sa pseudo reproductibilité, nous confronte soudainement à l'angoisse du multiple. Le regard se fait prisonnier de l'entrelacement des formes, cherchant à percevoir dans l'espace du plan un labyrinthe qui n'existe que dans l'ordre du temps. La figure virtuelle nous révèle que si l'énigme primordiale était résolue, l'issue n'en serait pas moins d'avoir à résoudre celle qui lui est adjacente. Et cela, indéfiniment. Gilles BALMET propose une échappée hors de la toile, en donnant corps aux figures. Les tâches se font chrysalides, les interprétations deviennent papillons. Les insectes volant naissent ainsi émancipés de leur destin d'encre noir. Mais leur liberté nouvelle dessine dans l'espace notre destin funeste, car des tests initiaux soumis à notre imagination sont nés les figures qui nous soumettent à leur tour à la force de leur présence physique. Explorant une troisième approche, par la vidéo, Gilles BALMET concentre notre regard sur un arbre dont la découpe apparaît noire telle une ombre chinoise. Branches et feuilles forment une nouvelle image de réseau. L'étrange vient des formes mouvantes, imperceptibles silhouettes d'oiseaux, possibles interprétations des tâches noires. L'instant est toujours, dans les vidéos de Gilles BALMET, un moment de vie révélé, amplifié à l'extrême. Sa force est de faire émerger d'une situation banale un projet dont, au premier abord, l'harmonie préalable joue le leurre esthétique. La figure reste stable. Il s'y inscrit pourtant invariablement un écart par lequel notre imaginaire va inscrire une forme poétique, un sentiment d' " inquiétante étrangeté ", une révélation des structures infimes sur fond de persistance temporelle. D'un travail exploratoire, il fait oeuvre inquisitrice, alors même que le dispositif reste minimal. L'espace de l'atelier, un reflet, des gouttes d'eau ou une scène épiée de chantiers sont autant de non-événements prétextes pour dévoiler pour chacun une dimension vivante, endogène, insaisissable.

 

Barbara Dennys