Gilles Balmet

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TEXTE DE JACQUES PY / l'encre qui peignait les montagnes/ Août 2009

Catalogue Oeuvres sur papier volume 1 / Edition Marguerite Waknine

 

L'Encre qui peignait les montagnes.

Est-ce par la puissance d'une pensée magique qu'un lavis d'encre, en se retirant simplement de la surface d'un papier à dessin, peut accoucher d'une montagne et engendrer, par les plissements géologiques qui s'y forment et s'étagent, d'étranges décors vallonnés et déserts ? Face aux œuvres de Gilles Balmet la question se pose de savoir si, au-delà d'une alchimie des fluides que l'artiste pratique dans le retranchement de son atelier, ses Ink Mountains ne relèveraient pas d'une constitution naturelle de la peinture. Ainsi les substances picturales initiales seraient aptes à produire spontanément des paysages grandioses et fantastiques à l'image de ceux que l'on découvre inscrits au cœur des porphyres, des agates ou de la Pietra Paesina, ce marbre toscan qui une fois tranché et poli nous subjugue tant. Par un élémentaire procédé d'extraction l'artiste, comme le marbrier, ne ferait-il pas simplement apparaître des figures qui seraient déjà contenues dans les profondeurs d'une matière à l'état brut ? Alors progressivement révélée par les bains du papier dans une cuve, comme une photographie dans son révélateur, l'image serait donc latente dans l'informel de ces dilutions de produits aux qualités non miscibles. Mais loin des mécaniques froides qu'elle avait supposées, la raison nous dicte une explication logique associant une connaissance sensible des matériaux à l'habile savoir-faire manuel de l'artiste. Lors de ses manipulations, les antagonismes de l'eau et des essences grasses se conjuguent ou se rejettent sur le papier en différentes densités et oppositions contrastées devenant sous ses yeux des sites montagneux ; les courbes imposées à la feuille façonnent le mouvement des monticules sur lesquelles des dépôts de matières acryliques sur l'encre délavée simulent des buissons d'épineux, des lichens ou des aspérités de roches affleurantes sous un couvert de givre. Bien d'autres évocations paysagères surgissent et devant ces planches sobrement encadrées, l'illusion nous stupéfie d'abord puis l'on se laisse projeter dans le réalisme de ces représentations comme on avait voulu croire en la magie de leur apparition.

Fasciné par les paysages de Madagascar, Max-Pol Fouchet écrivait : " Me serais-je attaché à ces croupes limées, à ces mols évasements, à ce paysage où le pittoresque luit à peine comme une braise cendreuse, si les apparences n'y tendaient à devenir, de leur propre mouvement, transparences ? " Si, épargnés par les bains successifs, les blancs du papier forment des ciels laiteux et sans nuages, comme surexposés, tous les phénomènes telluriens de ces contrées dévoilées ne sont en revanche que nuances et irisations subtiles dont les alluvions hésitent souvent entre une transcription positive ou bien négative d'un paysage sédimentaire. Alors le poète peut encore renchérir : " Regardez ce paysage. Les collines sont les dernières vagues d'une mer qui se calme et s'apaise. Usées, elles témoignent de l'usure lente. Ce relief murmure ". Et ces dômes émoussés inspirés d'un Massif Central plutôt qu'alpin, évoquent les lentes érosions et les ravinements que le temps et les intempéries imposent aux reliefs les plus vifs. Et ces Ink Mountains, nous les entendons bien nous dire ce que nos sens interprètent comme des algues déposées sur une plage par le ressac des vagues, comme le terrain calcaire parsemé de brindilles calcinés d'une calanque incendiée, comme des fonds sableux éclairés par les reflets brillants d'une mer limpide ou des coulées neigeuses sur un volcan éteint depuis des ères révolues. Surgissant d'un fonds archétypal d'une géographie immémoriale, les dessins de Gilles Balmet déclenchent en nous les projections de toutes nos réminiscences de paysages, comme les œuvres de Roland Flexner nous invitent à la contemplation des variations atmosphériques du globe terrestre à partir seulement d'une bulle d'encre savonneuse éclatée sur une feuille.

Jacques Py, 4 août 2009.

 

ENGLISH TRANSLATION BY HALBO KOOL / EDITIONS MARGUERITE WAKNINE

The ink that washed mountains


Can the power of a magical thought, just by withdrawing itself from the surface of a sheet of paper,make an ink wash give rise to a mountain and generate through geological folds and ranges strange valleyed settings and deserts? Dealing with the works of Gilles Balmet the question presents itselfwhether, beyond an alchemy of fluids practised by the artist in the confinement of his studio, his InkMountains
result froma natural quality of painting. If so basic pictorial substances should suffice to produce imposing and fantastic
landscapes equalling those found engraved at the very core of porphyry, of agate or of Pietra Paesina, the Tuscanmarble that, once cut and polished, so enchants us.Doesn't the artist just by the process of extraction, like the marble-mason, make appear figures that are already present in the depths of a raw material ? If so the image, progressively revealed by immersing the paper in a basin filled with liquids like a photograph in its developer,would be latent in the rough of these dilutions of immiscible products. Yet far from this assumption of cold mechanics reason prescribes us a logical explanation linking a sensitive knowledge of materials to the artist's skilful manual know-how. During his manipulations, the antagonisms of water and oily substances unite or separate on the paper in different densities and opposite contrasts that becomemountainous sites under his very eyes. Bending the sheet fashions themovement of themounds on which sediments of acrylic matter on washed ink suggest thorny bushes, lichens or the ruggedness of the rockface beneath a veil of frost. Many other landscapelike evocations manifest themselves and facing the images in their plain frames the illusion stupefies us before we venture in the realism of the representations as if we had wished to believe in the magic of their appearance.

Fascinated by the landscapes of Madagascar Max-Pol Fouchet wrote : "Would I have become attached to these rounded-down crests, to these soft slopes, to this landscape where the picturesque hardly glows like ashy cinders, if the appearances wouldn't tend to become, by their own movement, transparent ? " (1) If, spared by the successive baths, the whites of the paper give shape to cloudless and milky skies that seem overexposed, all the tellurian phenomena of these revealed lands are nothing but hues and subtle iridescences whose alluvia often hesitate between a positive and a negative transcription of a sedimentary landscape. The poet can even go further then : " Look at this landscape.
These hills are the last waves of a sea that's calming down and getting apeased.Worn, they bear witness of their slow erosion. This relief murmurs. " (2) And these dulled domes, inspired by aMassif Central rather then by theAlps, evoke the slow erosion and the gullying that time and the elements impose on the sharpest relief.We hear what these Ink Mountains are trying to tell us and what our senses interpret
as algues that have been deposited on a shore by the waves' undertow, like the limestone ground studded with charred twigs of a burned creek, like sand bottoms lit by the bright reflections of a limpid sea or the snowy colours of a volcan that's been sleeping since time immemorial. The drawings of Gilles Balmet, rising up from an archetypical bottom of an immemorial geography, provoke in us the projection of all our recollections of landscapes, just as the works of Roland Flexner invite us to contemplate the atmospheric variations of the terrestrial globe through a single soapy ink bubble burst upon a leaf.

Jacques Py, August 4th 2009