Attentif et intrépide, Gilles Balmet fait de son travail une
aventure qui sélance vers linconnu. Et ce, avec joie
et détermination. Il ouvre à un univers habité
de découvertes et démerveillements. Mais aussi de
mystères.
Loeuvre évoque une sorte de libération continuelle
en explorant ce qui est le plus secret dans la peinture et lart
en général. Le passé y est revisité afin
que, dans le présent, lart sadresse à lavenir.
Entretien :
Quest-ce qui vous fait lever le matin ?
Le chant de mon oiseau sauvé il y a quelques années dune
mort certaine et qui vit très heureux chez moi à Paris.
Lenvie ensuite de travailler à mes projets, quil
sagisse du développement dune nouvelle série
duvres ou bien la découverte de nouveaux artistes
dans le cadre de lélaboration de ma collection. Cela peut
être aussi le réveil, très tôt le matin, pour
prendre le train qui memmènera à Montpellier pour
donner mes cours au MO.CO Esba, lécole des Beaux arts de
Montpellier où jenseigne depuis 2012 le dessin et la peinture.
Que sont devenus vos rêves denfant ?
Je suis en train de les vivre. Être artiste, exposer régulièrement
son travail, enseigner lart constituaient déjà enfant
une obsession. Je me rappelle que je jouais au professeur de dessin
dès lâge de dix ans dans mon atelier grenoblois qui
était lancien atelier de vitraux de mon arrière
grand-père, Louis Balmet, que joccupe toujours. Mes parents
étaient assez permissifs pour me laisser occuper un étage
complet au milieu dun fatras dobjets et de matériaux
plus ou moins dangereux comme les plaques de verre antique, le plomb,
les chalumeaux, un flacon de mercure
A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne crois pas être de nature à renoncer à quoi
que ce soit. Peut-être que lâge aidant et la sagesse
venant me permettent de moduler ou de modérer légèrement
certaines ambitions, sans que cela constitue toutefois un changement
radical de mon cheminement.
Doù venez-vous ?
Je vis actuellement à Paris, depuis maintenant dix-huit
ans mais je suis né à Grenoble où jai eu
la chance de grandir en centre-ville, en face de la FNAC qui était
située dans le Centre commercial KStore ; ce qui a
constitué une ouverture culturelle assez surprenante. Je passais
beaucoup de temps à regarder les livres dart, les pochettes
de disques, les VHS etc
Je devais traverser ce magasin qui était
disposé comme une sorte de passage tous les jours pour aller
à mon école et cétait une grande joie. Jai
aussi eu la chance davoir un père encadreur de tableaux,
ce qui fait que jai été confronté dès
ma plus tendre enfance à des uvres variées, des
peintures de maîtres ou damateurs, des dessins, des photographies,
des posters, des canevas de grand-mère, bref, tous types dobjets
et dimages à encadrer, comme une ouverture sur le champ
du visuel. Jai par la suite étudié cinq années
aux Beaux arts de Grenoble de 1998 à 2003 doù je
suis sorti diplômé. Jai commencé à
exposer très vite à la Nouvelle galerie de Grenoble et
dans des lieux dart en France et à létranger.
Puis je suis allé vivre à Paris à la Cité
Internationale des arts pour une année de résidence en
2004. Jai par la suite travaillé avec mes premières
galeries comme la galerie Nuke pour ma première exposition à
Paris en 2006, puis Cosmic galerie qui était une galerie très
importante avec de nombreux artistes « stars » comme Vanessa
Beecroft ou Pierre Bismuth puis Dominique Fiat toujours à Paris
chez qui jai réalisé quatre expositions personnelles
depuis 2008.
Quavez-vous reçu en héritage ?
Je crois que cet atelier grenoblois et les différentes activités
quil a accueillies, un certain rapport aux techniques artisanales,
la minutie dans lélaboration dun travail peuvent
constituer cet héritage familial. Jai beaucoup observé
mon père travailler, ses gestes précis quand il concevait
un vitrail ou un encadrement et je retrouve dans ma pratique parfois
ces gestes. Aussi, le goût des belles choses acquises par mon
arrière grand-père et conservées par mes parents
à la maison. Grandir avec des tableaux aux murs, de beaux objets
et donc le sentiment dappartenir à la famille des artistes
et des amateurs dart est déjà un bel héritage.
Cette sorte de légitimité à être artiste
aussi que ma grand-mère ma transmise et qui a fait que
cela a posé moins de problèmes que dans certaines familles
probablement.
Un petit plaisir quotidien ou non ?
Boire du thé vert au riz grillé japonais dans une belle
tasse en céramique artisanale bien choisie. Cest en effet
une trace de mon voyage au Japon en 2010. Jai pu résider
à la Villa Kujoyama pendant six mois à Kyoto avec mon
compagnon Benoît Broisat qui est artiste et qui était lauréat
de ce prestigieux programme de résidence. Jai pu beaucoup
travailler là bas, réalliser une exposition à lInstitut
Franco-Japonais du Kansaï de Kyoto et observer la qualité
des objets artisanaux japonais. Jai pu aussi faire de la
céramique à lécole dart et design Zokei
avec des professeurs réputés qui nous ont gentiment invités,
comme Noboru Tsubaki ou Kenji Yanobe. Jai aussi ramené
quelques jolies céramiques achetées dans des boutiques
artisanales ou des villages de potier et que je continue à collectionner
modestement. Jai pu retourner au Japon en 2014 pendant trois semaines
et cela a été un bonheur renouvelé.
Quest-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Lintérêt que je porte au travail des autres en plus
du mien peut-être ? Je fais partie de la catégorie des
artistes collectionneurs. Cest-à-dire quune de mes
passions est de collectionner les uvres dautres artistes
par échanges principalement. Je possède aujourdhui
une collection denviron trois cent soixante dix uvres dartistes
contemporains dont jaime le travail. Cest une collection
qui sest montée petit à petit, par estime réciproque.
Il faut cependant que je sois le moteur de léchange, sinon
il ny a pas de désir de posséder luvre
et cela coupe souvent mon envie. Je propose donc régulièrement
à des artistes un échange et ils me disent oui ou non.
Jai montré récemment une sélection de cent
cinquante uvres de ma collection dans une double exposition sur
deux étages avec aussi mon travail dartiste au Pavillon
Carré de Baudouin dans le quartier Ménilmontant à
Paris. Ce lieu magnifique a été la maison de campagne
des Goncourt avant dêtre aujourdhui un lieu dart
dans lequel on peut monter de beaux projets. On peut en retrouver des
vidéos sur youtube comme de toutes mes expositions que je filme
dans lidée de laisser une simple trace.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Peut-être quau-delà de limage qui pourrait
être le timbre de La dame à la licorne issue de la collection
de ma grand-mère quelle mavait confiée et
que jai poursuivie pendant un moment, jai un souvenir important
de ma visite au Musée Reina Sofia à Madrid où javais
vu Guernica de Picasso lors dun voyage organisé par mon
professeur du Lycée Champollion, François Contesse, qui
était un excellent professeur. Cette puissance de luvre
a été un choc et une grande jubilation et je pense que
je me suis dit : « cest absolument cela que je veux
faire ou produire plus tard »
Et votre première lecture ?
Mes parents lisaient peu, même sil y avait quelques livres
à la maison et ma grand-mère avait quelques livres dhistoire
ou de belles reliures et je me souviens avoir été marqué
par une sorte dencyclopédie sur lhistoire du vingtième
siècle à liconographie particulièrement choquante
et tragique, entre la libération des camps et ses montagnes de
corps, la bombe atomique et ses ravages ou lutilisation du napalm
au Vietnam, les cadavres et victimes des conflits mondiaux etc.. Jen
regardais les images avec horreur et une certaine fascination coupable..
Le monde des adultes était particulièrement horrible et
cruel !
Quelles musiques écoutez-vous ?
Jaime beaucoup la musique classique. Mozart, Debussy, Ravel, Moussorgski,
Rachmaninov, Satie, le jazz avec Keith Jarrett. Jadore Ryuichi
Sakamoto, notamment son album Casa de bossa nova enregistré sur
le piano de Jobim. La musique pour piano a ma préférence.
Jai été très fan de grande figures pop comme
Michael Jackson et Prince avec un côté collectionneur assez
prononcé sur ces deux artistes ou même David Bowie. Jaime
beaucoup les pianistes chanteurs comme Rufus Wainwright ou Tori Amos
ou encore Fiona Apple. Aretha Franklin, Stevie Wonder aussi.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne crois pas en être au moment ou je relis des livres. Jai
plusieurs bibliothèques que je complète et compulse régulièrement
comme jai la chance dhabiter trois villes régulièrement
et je passe donc beaucoup de temps dans les librairies et chez les bouquinistes
de Paris, Grenoble ou Montpellier avec un intérêt plus
concentré sur les livres dart que sur la littérature.
Je ne suis pas un gros lecteur de roman. La fiction mintéresse
peu. Jaime un certain rapport au réel et le journal est
une forme littéraire qui commence à mintéresser.
Je me suis plongé dans le journal de Julien Green qui vient de
ressortir dans sa version non-expurgée et qui aborde la sexualité
de façon assez crue et notamment lhomosexualité
et la prostitution au début du vingtième siècle.
Jen suis au tome deux qui narre son départ pour les Etats-Unis
pendant la seconde Guerre Mondiale et sa quête spirituelle et
les contradictions entre sa vie sexuelle réprimée et ses
aspirations religieuses. Je crois que la sexualité et lintimité
sont des sujets très importants dans la littérature et
cela me passionne ; que ce soit chez Hervé Guibert, Guillaume
Dustan, Christine Angot ou même Michel Houellebecq. Jai
beaucoup aimé Le Journal sexuel dun garçon daujourdhui
dArthur Dreyfus, comme un pendant contemporain au journal de Green.
Quel film vous fait pleurer ?
Je ne crois pas pleurer souvent au cinéma bien quil y ait
parfois des scènes très émouvantes comme dans le
film Call me By your name de Lucas Guadagnino traitant du coming out
homosexuel dans les années 80. Mais il y a parfois une alchimie
mystérieuse entre une scène et sa musique ; je pense notamment
au film E.T de Steven Spielberg dont la musique de John Williams me
touche beaucoup. Ce compositeur est étonnant et, tout en sinspirant
clairement des grands compositeurs de lhistoire de la musique
classique ou du cinéma, il parvient à susciter des émotions
magnifiques avec des climax émotionnels superbes. Sa direction
dorchestre joue probablement beaucoup. Jai vu récemment
un document sur youtube dans lequel il considérait sa partition
pour ce film comme une de ses plus grandes réussites. Jadore
le cinéma dauteur. Fellini, Pasolini, Woody Allen, Almodovar,
Téchiné, Rohmer, Chabrol, Ozu, Imamura, Lynch, Cronenberg
mais aussi James Cameron. Jai la chance dhabiter en face
dune médiathèque formidable et davoir un projecteur
vidéo et un écran à la maison mais jaime
aussi le cinéma en salle, au Diagonal à Montpellier que
je fréquente beaucoup pour les nouveautés, au Club ou
au Méliès à Grenoble ou au MK2 Gambetta ou Beaubourg
à Paris. Jai récemment beaucoup apprécié
la série En thérapie sur Arte et ses nombreux acteurs
formidables.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme de quarante-deux ans plutôt heureux de son parcours.
Je suis toujours assez insatisfait de beaucoup de choses et jaime
essayer daméliorer ce que je peux changer. Je vois un artiste
qui essaie de faire du mieux quil peut dans tout ce quil
approche. Jessaye dêtre au maximum en cohérence
avec mes principes et la complexité du monde. Je minterroge
beaucoup sur ce quil faut faire dans tous les domaines de lart,
sur lenseignement, la politique, lécologie. Sur ma
responsabilité en tant que professeur et en tant que citoyen.
A qui navez-vous jamais osé écrire ?
Je ne suis pas trop timide donc je nai pas ce genre de tabou.
Je me rappelle avoir envoyé une lettre à Cy Twombly, adolescent,
qui est restée sans réponse malheureusement.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Uriage-les-bains, la ville dans laquelle nous avions une maison de campagne
achetée avec des cousins par mon arrière-grand-père
et dont jai pu profiter tous les week-end avec mes parents jusquà
lâge de dix ans. Uriage est une jolie petite commune avec
un grand parc traversé par une petite rivière dans lequel
je jouais enfant et qui est structurée autour dun établissement
thermal qui a été mondialement réputé au
dix-neuvième siècle et au début du vingtième
siècle. Jai fait beaucoup de promenades à vélo
ou à pied le long des marronniers de lavenue principale
et cela reste des souvenirs merveilleux. Je retrouve ce sentiments lorsque
je suis en-dessous des marronniers des Champs Élysées
à Paris ou dans le vingtième arrondissement. Je ne peux
mempêcher de ramasser des marrons lorsque jen trouve.
Jai eu le plaisir dorganiser une exposition personnelle
grâce à Agnès Seux, une amie, au Bélvédère
de Saint-Martin dUriage et je suis très fier de cette exposition.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le
plus proche ?
Jai grandi avec une passion pour Cy Twombly, puis De Kooning.
Picasso, Matisse, Paul Klee, Max Ernst. Pour les artistes contemporains,
jaime beaucoup Wolfgang Tillmans, Silvia Bächli, Brice Marden,
Gerhard Richter, Terry Winters, Pierre Soulages, Bernard Frize, Simon
Hantaï, Nan Goldin, Gabriel Orozco
Il y en a tellement mais
en voilà quelques-uns. Je crois avoir répondu pour les
écrivains précédemment.
Quaimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une petite uvre ou une édition dun artiste dont jaime
le travail ? Un livre dart? Une céramique ? Une plante
? Je ne suis pas très difficile. Cest lattention
qui compte.
Que défendez-vous ?
Le meilleur et la qualité pour tous ! Je minquiète
des politiques publiques culturelles qui abaissent le niveau pour
un public soi-disant populaire. Le peuple et lensemble de la population
méritent le meilleur et peuvent aussi sélever vers
un idéal. Je minterroge par exemple sur le concept des
tiers-lieux que lon voir fleurir un peu partout et auxquels je
ne crois pas vraiment pour linstant. Je vois des lieux parfois
perdre ainsi une identité claire, par exemple une salle de concert,
pour se transformer en salle aux activités multiples et
à lidentité floue. Le public exigeant qui avait
une bonne raison dy aller sen détourne alors.
Que vous inspire la phrase de Lacan : LAmour cest
donner quelque chose quon na pas à quelquun
qui nen veut pas?
Cest une belle formule. Cela me laisse à penser que lamour
peut être un effort parfois de lordre du sacrifice ou en
tous cas du dépassement de soi. La suite de la phase sur la réception
de cet amour métonne un peu et semble évoquer la
surprise du receveur de cet amour. Est-ce lamour impossible ?
En tout cas, cet amour ne semble pas désiré et cest
un peu triste.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : La réponse est
oui mais quelle était la question ?
Cest assez drôle comme phrase. Je préfère
ne pas trop creuser ses multiples interprétations puisquon
en perdrait la légèreté. Jai vu absolument
tous les films de Woody Allen que jadore. Jespère
quil aura loccasion den faire dautres. Il me
semble que la justice la innocenté clairement et que le
témoignage de son fils adoptif qui le défend est à
prendre sérieusement en compte.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Une question sur mon actualité peut-être ? Je peux y répondre
par : une exposition à Chambéry à la galerie Lantichambre.
Jy présente ma nouvelle série duvres
sur papier Les écritures et dautres séries récentes
jusquau 7 mai 2022. Il sagit globalement de dessins qui
se réalisent à laide de mes gestes, sans utilisation
doutils traditionnels de dessin ou de peinture. Je manipule mes
supports et ce sont mes mouvements presque chorégraphiques ou
performatifs qui conditionnent la répartition des matières
encrées et qui viennent créer des uvres abstraites
ou paysagères. Les paramètres physico-chimiques des matières
interagissent aussi avec la gravité dans les bacs et piscines
dans lesquels je trempe mes supports. Je serai présent le 6 mai
pour la sortie dune édition et le 7 Mai pour le dernier
jour de lexposition à la galerie.
Entretien et présentation réalisés par Jean-Paul
Gavard-Perret pour lelitteraire.com, le 25 avril 2022.
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