Gilles Balmet

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Entertien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret et publié sur la blog le Littéraire.com

"Celui qui jouait au professeur de dessin et qui l’est devenu :

entretien avec l’artiste Gilles Balmet (Ecritures et autres travaux récents)"

Attentif et intrépide, Gilles Balmet fait de son travail une aventure qui s’élance vers l’inconnu. Et ce, avec joie et détermi­nation. Il ouvre à un univers habité de découvertes et d’émerveillements. Mais aussi de mystères.
L’oeuvre évoque une sorte de libération continuelle en explorant ce qui est le plus secret dans la pein­ture et l’art en général. Le passé y est revisité afin que, dans le présent, l’art s’adresse à l’avenir.

Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le chant de mon oiseau sauvé il y a quelques années d’une mort certaine et qui vit très heureux chez moi à Paris. L’envie ensuite de travailler à mes projets, qu’il s’agisse du développement d’une nouvelle série d’œuvres ou bien la découverte de nouveaux artistes dans le cadre de l’élaboration de ma collection. Cela peut être aussi le réveil, très tôt le matin, pour prendre le train qui m’emmènera à Montpellier pour donner mes cours au MO.CO Esba, l’école des Beaux arts de Montpellier où j’enseigne depuis 2012 le dessin et la peinture.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je suis en train de les vivre. Être artiste, exposer régulièrement son travail, enseigner l’art constituaient déjà enfant une obsession. Je me rappelle que je jouais au professeur de dessin dès l’âge de dix ans dans mon atelier grenoblois qui était l’ancien atelier de vitraux de mon arrière grand-père, Louis Balmet, que j’occupe toujours. Mes parents étaient assez permissifs pour me laisser occuper un étage complet au milieu d’un fatras d’objets et de matériaux plus ou moins dangereux comme les plaques de verre antique, le plomb, les chalumeaux, un flacon de mercure…

A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne crois pas être de nature à renoncer à quoi que ce soit. Peut-être que l’âge aidant et la sagesse venant me permettent de moduler ou de modérer légère­ment certaines ambitions, sans que cela constitue toutefois un changement radical de mon cheminement.

D’où venez-vous ?
Je vis actuelle­ment à Paris, depuis mainte­nant dix-huit ans mais je suis né à Grenoble où j’ai eu la chance de grandir en centre-ville, en face de la FNAC qui était située dans le Centre commer­cial K’Store ; ce qui a constitué une ouverture culturelle assez surprenante. Je passais beaucoup de temps à regarder les livres d’art, les pochettes de disques, les VHS etc … Je devais traverser ce magasin qui était disposé comme une sorte de passage tous les jours pour aller à mon école et c’était une grande joie. J’ai aussi eu la chance d’avoir un père encadreur de tableaux, ce qui fait que j’ai été confronté dès ma plus tendre enfance à des œuvres variées, des peintures de maîtres ou d’amateurs, des dessins, des photographies, des posters, des canevas de grand-mère, bref, tous types d’objets et d’images à encadrer, comme une ouverture sur le champ du visuel. J’ai par la suite étudié cinq années aux Beaux arts de Grenoble de 1998 à 2003 d’où je suis sorti diplômé. J’ai commencé à exposer très vite à la Nouvelle galerie de Grenoble et dans des lieux d’art en France et à l’étranger. Puis je suis allé vivre à Paris à la Cité Internationale des arts pour une année de résidence en 2004. J’ai par la suite travaillé avec mes premières galeries comme la galerie Nuke pour ma première exposition à Paris en 2006, puis Cosmic galerie qui était une galerie très importante avec de nombreux artistes « stars » comme Vanessa Beecroft ou Pierre Bismuth puis Dominique Fiat toujours à Paris chez qui j’ai réalisé quatre expositions personnelles depuis 2008.

Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Je crois que cet atelier grenoblois et les différentes activités qu’il a accueillies, un certain rapport aux techniques artisanales, la minutie dans l’élaboration d’un travail peuvent constituer cet héritage familial. J’ai beaucoup observé mon père travailler, ses gestes précis quand il concevait un vitrail ou un encadrement et je retrouve dans ma pratique parfois ces gestes. Aussi, le goût des belles choses acquises par mon arrière grand-père et conservées par mes parents à la maison. Grandir avec des tableaux aux murs, de beaux objets et donc le sentiment d’appartenir à la famille des artistes et des amateurs d’art est déjà un bel héritage. Cette sorte de légitimité à être artiste aussi que ma grand-mère m’a transmise et qui a fait que cela a posé moins de problèmes que dans certaines familles probablement.

Un petit plaisir quotidien ou non ?
Boire du thé vert au riz grillé japonais dans une belle tasse en céramique artisanale bien choisie. C’est en effet une trace de mon voyage au Japon en 2010. J’ai pu résider à la Villa Kujoyama pendant six mois à Kyoto avec mon compagnon Benoît Broisat qui est artiste et qui était lauréat de ce prestigieux programme de résidence. J’ai pu beaucoup travailler là bas, réalliser une exposition à l’Institut Franco-Japonais du Kansaï de Kyoto et observer la qualité des objets artisa­naux japonais. J’ai pu aussi faire de la céramique à l’école d’art et design Zokei avec des professeurs réputés qui nous ont gentiment invités, comme Noboru Tsubaki ou Kenji Yanobe. J’ai aussi ramené quelques jolies céramiques achetées dans des boutiques artisanales ou des villages de potier et que je continue à collectionner modestement. J’ai pu retourner au Japon en 2014 pendant trois semaines et cela a été un bonheur renouvelé.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
L’intérêt que je porte au travail des autres en plus du mien peut-être ? Je fais partie de la catégorie des artistes collectionneurs. C’est-à-dire qu’une de mes passions est de collectionner les œuvres d’autres artistes par échanges principalement. Je possède aujourd’hui une collection d’environ trois cent soixante dix œuvres d’artistes contemporains dont j’aime le travail. C’est une collection qui s’est montée petit à petit, par estime réciproque. Il faut cependant que je sois le moteur de l’échange, sinon il n’y a pas de désir de posséder l’œuvre et cela coupe souvent mon envie. Je propose donc régulièrement à des artistes un échange et ils me disent oui ou non. J’ai montré récemment une sélection de cent cinquante œuvres de ma collection dans une double exposition sur deux étages avec aussi mon travail d’artiste au Pavillon Carré de Baudouin dans le quartier Ménilmontant à Paris. Ce lieu magnifique a été la maison de campagne des Goncourt avant d’être aujourd’hui un lieu d’art dans lequel on peut monter de beaux projets. On peut en retrouver des vidéos sur youtube comme de toutes mes expositions que je filme dans l’idée de laisser une simple trace.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Peut-être qu’au-delà de l’image qui pourrait être le timbre de La dame à la licorne issue de la collection de ma grand-mère qu’elle m’avait confiée et que j’ai poursuivie pendant un moment, j’ai un souvenir important de ma visite au Musée Reina Sofia à Madrid où j’avais vu Guernica de Picasso lors d’un voyage organisé par mon professeur du Lycée Champollion, François Contesse, qui était un excellent professeur. Cette puissance de l’œuvre a été un choc et une grande jubilation et je pense que je me suis dit : « c’est absolu­ment cela que je veux faire ou produire plus tard »

Et votre première lecture ?
Mes parents lisaient peu, même s’il y avait quelques livres à la maison et ma grand-mère avait quelques livres d’histoire ou de belles reliures et je me souviens avoir été marqué par une sorte d’encyclopédie sur l’histoire du vingtième siècle à l’iconographie particulièrement choquante et tragique, entre la libération des camps et ses montagnes de corps, la bombe atomique et ses ravages ou l’utilisation du napalm au Vietnam, les cadavres et victimes des conflits mondiaux etc.. J’en regardais les images avec horreur et une certaine fascination coupable.. Le monde des adultes était particulièrement horrible et cruel !

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime beaucoup la musique classique. Mozart, Debussy, Ravel, Moussorgski, Rachmaninov, Satie, le jazz avec Keith Jarrett. J’adore Ryuichi Sakamoto, notamment son album Casa de bossa nova enregistré sur le piano de Jobim. La musique pour piano a ma préférence. J’ai été très fan de grande figures pop comme Michael Jackson et Prince avec un côté collectionneur assez prononcé sur ces deux artistes ou même David Bowie. J’aime beaucoup les pianistes chanteurs comme Rufus Wainwright ou Tori Amos ou encore Fiona Apple. Aretha Franklin, Stevie Wonder aussi.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne crois pas en être au moment ou je relis des livres. J’ai plusieurs bibliothèques que je complète et compulse régulièrement comme j’ai la chance d’habiter trois villes régulièrement et je passe donc beaucoup de temps dans les librairies et chez les bouquinistes de Paris, Grenoble ou Montpellier avec un intérêt plus concentré sur les livres d’art que sur la littérature. Je ne suis pas un gros lecteur de roman. La fiction m’intéresse peu. J’aime un certain rapport au réel et le journal est une forme littéraire qui commence à m’intéresser. Je me suis plongé dans le journal de Julien Green qui vient de ressortir dans sa version non-expurgée et qui aborde la sexualité de façon assez crue et notamment l’homosexualité et la prostitution au début du vingtième siècle. J’en suis au tome deux qui narre son départ pour les Etats-Unis pendant la seconde Guerre Mondiale et sa quête spirituelle et les contradictions entre sa vie sexuelle réprimée et ses aspirations religieuses. Je crois que la sexualité et l’intimité sont des sujets très importants dans la littérature et cela me passionne ; que ce soit chez Hervé Guibert, Guillaume Dustan, Christine Angot ou même Michel Houellebecq. J’ai beaucoup aimé Le Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui d’Arthur Dreyfus, comme un pendant contemporain au journal de Green.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je ne crois pas pleurer souvent au cinéma bien qu’il y ait parfois des scènes très émouvantes comme dans le film Call me By your name de Lucas Guadagnino traitant du coming out homosexuel dans les années 80. Mais il y a par­fois une alchimie mystérieuse entre une scène et sa musique ; je pense notamment au film E.T de Steven Spielberg dont la musique de John Williams me touche beaucoup. Ce compositeur est étonnant et, tout en s’inspirant clairement des grands compositeurs de l’histoire de la musique classique ou du cinéma, il parvient à susciter des émotions magnifiques avec des climax émotionnels superbes. Sa direction d’orchestre joue probablement beaucoup. J’ai vu récem­ment un document sur you­tube dans lequel il considérait sa partition pour ce film comme une de ses plus grandes réussites. J’adore le cinéma d’auteur. Fellini, Pasolini, Woody Allen, Almodovar, Téchiné, Rohmer, Chabrol, Ozu, Imamura, Lynch, Cronen­berg mais aussi James Cameron. J’ai la chance d’habiter en face d’une médiathèque formidable et d’avoir un projec­teur vidéo et un écran à la maison mais j’aime aussi le cinéma en salle, au Diagonal à Montpellier que je fréquente beaucoup pour les nouveautés, au Club ou au Méliès à Grenoble ou au MK2 Gambetta ou Beaubourg à Paris. J’ai récemment beau­coup apprécié la série En thérapie sur Arte et ses nombreux acteurs formidables.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme de quarante-deux ans plutôt heureux de son parcours. Je suis toujours assez insatis­fait de beaucoup de choses et j’aime essayer d’améliorer ce que je peux changer. Je vois un artiste qui essaie de faire du mieux qu’il peut dans tout ce qu’il approche. J’essaye d’être au maxi­mum en cohérence avec mes principes et la complexité du monde. Je m’interroge beaucoup sur ce qu’il faut faire dans tous les domaines de l’art, sur l’enseignement, la politique, l’écologie. Sur ma responsabilité en tant que professeur et en tant que citoyen.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne suis pas trop timide donc je n’ai pas ce genre de tabou. Je me rappelle avoir envoyé une lettre à Cy Twombly, adolescent, qui est restée sans réponse malheureusement.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Uriage-les-bains, la ville dans laquelle nous avions une maison de campagne achetée avec des cousins par mon arrière-grand-père et dont j’ai pu profiter tous les week-end avec mes parents jusqu’à l’âge de dix ans. Uriage est une jolie petite commune avec un grand parc traversé par une petite rivière dans lequel je jouais enfant et qui est structurée autour d’un établissement thermal qui a été mondialement réputé au dix-neuvième siècle et au début du ving­tième siècle. J’ai fait beaucoup de promenades à vélo ou à pied le long des marronniers de l’avenue principale et cela reste des souvenirs merveilleux. Je retrouve ce sentiments lorsque je suis en-dessous des marron­niers des Champs Élysées à Paris ou dans le vingtième arrondissement. Je ne peux m’empêcher de ramasser des marrons lorsque j’en trouve. J’ai eu le plaisir d’organiser une exposition personnelle grâce à Agnès Seux, une amie, au Bélvédère de Saint-Martin d’Uriage et je suis très fier de cette exposition.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’ai grandi avec une pas­sion pour Cy Twombly, puis De Kooning. Picasso, Matisse, Paul Klee, Max Ernst. Pour les artistes contemporains, j’aime beaucoup Wolfgang Tillmans, Silvia Bächli, Brice Marden, Gerhard Richter, Terry Winters, Pierre Soulages, Bernard Frize, Simon Hantaï, Nan Goldin, Gabriel Orozco … Il y en a tellement mais en voilà quelques-uns. Je crois avoir répondu pour les écrivains précédemment.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une petite œuvre ou une édition d’un artiste dont j’aime le travail ? Un livre d’art? Une céramique ? Une plante ? Je ne suis pas très difficile. C’est l’attention qui compte.

Que défendez-vous ?
Le meilleur et la qualité pour tous ! Je m’inquiète des poli­tiques publiques culturelles qui abaissent le niveau pour un public soi-disant populaire. Le peuple et l’ensemble de la population méritent le meilleur et peuvent aussi s’élever vers un idéal. Je m’interroge par exemple sur le concept des tiers-lieux que l’on voir fleurir un peu partout et auxquels je ne crois pas vraiment pour l’instant. Je vois des lieux parfois perdre ainsi une identité claire, par exemple une salle de concert, pour se trans­former en salle aux activités multiples et à l’identité floue. Le public exigeant qui avait une bonne raison d’y aller s’en détourne alors.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est une belle formule. Cela me laisse à penser que l’amour peut être un effort parfois de l’ordre du sacrifice ou en tous cas du dépassement de soi. La suite de la phase sur la réception de cet amour m’étonne un peu et semble évoquer la surprise du receveur de cet amour. Est-ce l’amour impossible ? En tout cas, cet amour ne semble pas désiré et c’est un peu triste.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
C’est assez drôle comme phrase. Je préfère ne pas trop creuser ses multiples interprétations puisqu’on en perdrait la légèreté. J’ai vu absolument tous les films de Woody Allen que j’adore. J’espère qu’il aura l’occasion d’en faire d’autres. Il me semble que la justice l’a innocenté clairement et que le témoignage de son fils adoptif qui le défend est à prendre sérieusement en compte.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Une question sur mon actualité peut-être ? Je peux y répondre par : une exposition à Chambéry à la galerie L’antichambre. J’y présente ma nouvelle série d’œuvres sur papier Les écritures et d’autres séries récentes jusqu’au 7 mai 2022. Il s’agit globalement de dessins qui se réalisent à l’aide de mes gestes, sans utilisation d’outils traditionnels de dessin ou de peinture. Je manipule mes supports et ce sont mes mouvements presque chorégraphiques ou performatifs qui conditionnent la répartition des matières encrées et qui viennent créer des œuvres abstraites ou paysagères. Les paramètres physico-chimiques des matières interagissent aussi avec la gravité dans les bacs et piscines dans lesquels je trempe mes supports. Je serai présent le 6 mai pour la sortie d’une édition et le 7 Mai pour le dernier jour de l’exposition à la galerie.

Entretien et présentation réalisés par Jean-Paul Gavard-Perret pour lelitteraire.com, le 25 avril 2022.