Gilles Balmet
Entretien avec Agnès Seux publié dans la micro édition L'atelier des combles en 2018
Gilles, cet automne, à Grenoble, trois expositions à ton nom vont entrer en résonance pour une reconnaissance certaine et un honneur bien mérité : une au Centre culturel du Belvédère, une à la galerie Marielle Bouchard, et une au Musée Dauphinois, en écho à ta ville de naissance Nombre darticles, de commentaires existent sur ton travail mais jaimerais te soumettre quelques questions aussi bien sur ta formation, ton environnement culturel que, bien sûr, ta pratique artistique. URIAGE : coïncidence, cest le lieu de cette exposition, mais aussi le lieu où enfant tu venais jouer à la « Villa Marie », dans le parc,- ta madeleine à toi -, et tous ses souvenirs Oui cest amusant de penser que lorsque nous avons parlé de ce projet dexposition au Belvédère, jai mis du temps à te dire que ma famille avait possédé une maison de campagne à Uriage, non loin du golf, sur lallée principale avec des marronniers. Cétait une maison jumelle symétrique avec un petit jardin que mon arrière-grand père Louis Balmet, qui était maître-verrier à Grenoble avait fait construire et dont mes cousins éloignés occupaient une moitié. Jai donc passé beaucoup de week-end enfant à arpenter les bordures du parc à vélo en direction du château jusquà létablissement thermal entouré de toutes ces belles maisons, un peu figées dans cette ambiance belle époque qui ravit tous les visiteurs de cet endroit et moi le premier. Je jouais beaucoup avec le petit ruisseau qui traverse le parc, son pont de ciment moulé et son saule pleureur. Une partie de ma famille paternelle a vécu ici et un autre arrière grand-père, Narcisse Colomb, a même été le chef de gare dans le bâtiment aujourdhui converti en office du tourisme. Ma grand-mère Arlette qui avait fait ses études de pharmacie ici me racontait beaucoup dhistoires sur Uriage, son château, les ruines romaines, sa fontaine, les bienfaits de son eau soufrée La maison a malheureusement été vendue dans les années quatre-vingt dix. Jen garde de merveilleux souvenirs. Jai retrouvé récemment sur Ebay de belles affiches publicitaires éditée par PLM au début du siècle dernier qui montrent précisément une vue du Parc, là ou je jouais enfant. Je lai donc mise en fond décran pendant que je réponds à tes questions. Ta formation artistique sest déroulée dabord aux Beaux-Arts de Grenoble. Peux-tu nous en citer les points-repères ? Ensuite ton installation à Paris ta fait découvrir la scène artistique parisienne ? Peux-tu nous faire partager tes rencontres, découvertes ? Je suis arrivé aux Beaux art de Grenoble en 1998 et ce fut le début dune aventure formidable, mais jaimerais tout dabord mentionner mon professeur darts plastiques du Lycée Champollion, François Contesse qui faisait un travail extraordinaire avec ses étudiants.Il nous a emmené à Madrid à la découverte du Prado, et voir Guernica au Musée Reina Sofia, des souvenirs très marquants. Les Beaux arts de Grenoble furent ensuite cinq années de grande joie et de développement de mon travail au contact dartistes reconnus comme Ange Leccia, Jean-Luc Moulène, Martine Aballéa, Gianni Motti ou encore Joël Bartoloméo. Jai aussi beaucoup apprécié travailler avec dautres enseignants comme Marc Borjon, Marie Claire Sellier ou Daniel Donadel, et jai plus tard développé une amitié profonde avec Michèle Crozet. Jen suis sorti diplômé avec les félicitations du jury en 2003. Marie-Claire Sellier a été par la suite la commissaire de ma première exposition personnelle en 2005 dans la galerie de lEcole supérieure dart dAmiens. Jai beaucoup travaillé durant ces années de formation en vidéo, en photographie, en performance, tout en expérimentant la peinture de mon côté dans mon atelier grenoblois que joccupais déjà, bien quelle soit ressortie lors de mon diplôme en parallèle du reste, et quelle sest beaucoup développée maintenant pour devenir mon médium principal. Javais beaucoup fréquenté les lieux dart de Grenoble et de son agglomération pendant mon cursus, ce qui fait que je nai pas eu trop de mal à obtenir des rendez-vous pour présenter mon travail et commencer à exposer après mon diplôme ; ce que nous avons fait avec Benoît Broisat pour notre première exposition qui sappelait White Light à la Nouvelle galerie en 2004, et dans laquelle je présentais mes peintures Winterdreams entrées depuis dans la collection du FMAC de la Ville de Paris. Puis jai pu obtenir une résidence dune année à la Cité Internationale des arts de Paris dans le Marais, et cest le début de ma vie à Paris avec toutes ces rencontres des acteurs du champs de lart contemporain comme Ami Barak ou Hans Ulrich Obrist, qui nous ont généreusement ouvert leurs carnets dadresses, de commissaires dexpositions comme Vérane Pina ou Charlotte Laubard. Jai travaillé aussi avec des galeristes comme Frédéric Bugada et Claudia Cargnel de la Cosmic Galerie rencontrés au moment du prix Ricard de 2006, puis Dominique Fiat à partir de 2008 ; des critiques dart comme Paul Ardenne qui a écrit un premier bel article sur mon travail dans le magazine Artpress, des collectionneurs qui soutiennent régulièrement mon travail. Jai ensuite pu occuper un petit appartement dans le quinzième arrondissement de Paris jusquen 2010, avant de Partir au Japon à la Villa Kujoyama pour six mois avec Benoît Broisat, qui était lauréat du prestigieux programme de résidence à Kyoto au Japon. Puis, de retour, nous avons obtenu enfin, après cinq années dattente, un atelier-logement de la Ville de Paris dans le XX ème arrondissement. Nous sommes confrontés devant tes uvres à ton écriture narrative, tes choix de langage, formes, matières, couleurs, et à tes audaces techniques et gestuelles. En particulier, tu définis ton travail comme « processuel ». Peux-tu nous expliciter ce concept, cette approche ? Il est toujours difficile de résumer une pratique et je voulais insister en employant ce terme sur la création de processus picturaux élaborés petit à petit dans le cadre de l'atelier plutôt que faire référence au « Process art » des années 70. Je me sens plus proche d'une certaine façon d'artistes contemporains comme Bernard Frize qui élabore des protocoles de travail, comme lapplication de peinture sur des toiles passées à la résine et qui s'y tient sur l'ensemble d'une série, ou bien de Brice Marden lorsqu'il travaille sur une série comme Cold Mountains, ou sur ses dessins à l'encre développés à partir de calligraphies asiatiques à laide de branches encrées et en tension. C'est lidée dune utilisation particulière, un peu hors norme, des outils et des matériaux qui définit une série d'oeuvres comme les Ink Mountains, les Silver Mountains ou les Waterfalls. La technique nest jamais innocente : elle est indissociable de laventure artistique. Tu as recours à de nombreuses techniques manuelles, gestuelles ces dernières années, mais plutôt peu sophistiquées (pas dinformatique ) Pourquoi ? J'ai beaucoup utilisé les technologies digitales à mes débuts, déjà à l'école d'art de Grenoble où je pratiquais beaucoup la vidéo ou la photographie. J'ai même réalisé des uvres numériques destinées à Internet comme luvre Random 1000 drawings que m'avait commandée le Musée de Grenoble pour son site Internet en 2006. J'ai beaucoup montré mes vidéos notamment au Musée d'art contemporain de Lyon dans Rendez vous 004, au Frac Champagne Ardennes dans Jeunisme 2 en 2005 ou à la Ferme du Buisson (Noisiel) dans l'exposition Regards Caméra. Je ressentais malgré le prestige de ces lieux une sorte de frustration dans l'expérience artistique de l'exposition. Je crois que j'aime profondément dessiner et peindre depuis toujours et qu'envoyer une copie DVD d'un film une fois que luvre est terminée puis réaliser une simple installation en projection vidéo est une expérience un peu limitée pour un artiste. Mes uvres vidéos ont aussi voyagé en Argentine, en Croatie ou même à Los Angeles, et ne pas pouvoir les accompagner comme pour une exposition de peinture plus classique parce qu'il n'y a pas de budget pour vous inviter ne me satisfaisait pas vraiment. Je me suis aussi lassé en tant que spectateur de la vidéo d'art même s'il y a toujours quelques pépites de temps en temps. J'ai donc recentré mon travail sur des médiums plus classiques qui font moins appel à des notions de temporalité longues comme la vidéo et j'en suis très heureux. Les technologies sont partout aujourd'hui. Je passe beaucoup de temps sur Internet et les réseaux sociaux pour des raisons professionnelles et je ne veux pas que le cur de mon travail me demande de passer trop de temps sur un ordinateur. Je dirai aussi au contraire que la peinture est une technique extrêmement sophistiquée si on la regarde de façon scientifique.
Je ne me limite pas à un médium et j'aime l'idée qu'un artiste d'aujourd'hui ne s'interdise aucunement de recourir à une technique mais il faut bien aussi dire que j'ai une prédilection pour le dessin et la peinture et qu'il est parfois difficile de situer mes uvres entre ces deux médiums. J'aime l'idée de peinture sur papier. Je parle plus volontiers de dessin lorsqu'il s'agit d'encres ou de lavis mais cela dépend aussi bien évidemment du type duvre que l'on produit avec ces matériaux. Je travaille parfois sur toile, ce qui me permet un rapport au grand format ou de la même façon plus récemment sur de très grands papiers qui mesurent parfois plus de trois mètres. Les Waterfalls utilisent des gouttelettes d'encres préparées et projetées sur un support qui sont absorbées dans un deuxième temps sur des papiers puis dissoutes dans des bains d'eau. J'utilise pour des séries comme les Silver Mountains des papiers noirs ou préparés que je manipule dans de grands bacs ou piscines d'eau qui contiennent à leur surface des pulvérisations de peintures argentées. Ce sont des techniques que j'ai développées, que je mélange entre elles et qui peuvent s'apparenter à la technique du papier à la cuve. On retrouve dans des civilisations très diverses et à différentes époques des productions qui ont utilisé des techniques parfois approchantes. Ceci mamène à te demander de nous parler des outils que tu utilises, des objets que tu détournes pour ta recherche et ta production artistique ? J'aime détourner des outils ou en créer de nouveaux comme mes pinceaux de papiers froissés, sorte de toiles daraignées encrées et manipulables qui me permettent de dessiner en conservant une certaine souplesse tout en complexifiant et multipliant les effets graphiques produits. J'ai utilisé aussi de nombreux bacs et piscines, des matières plastiques en quantité, différents types de toiles, de nombreux types de papiers qui vont du papier industriel blanc lisse éclatant au papier artisanal fibreux japonais des munitions de pistolets pour enfants, des pipettes utilisées pour la cuisine moléculaire, un pulvérisateur à Bonzaï ou le souffle d'un aérographe ainsi que toutes sortes d'encres et de peintures du monde entier. On pourrait dire que mon travail est une illustration positive et amusante de la mondialisation et de la circulation des matériaux. Après ces outils-objets détournés, peux-tu commenter ton rapport à la forme et à la couleur ? Mon rapport à la couleur dépend des séries duvres que je développe. Je peux chercher à produire des couleurs éclatantes et parfois même très vives, à la limite du mauvais goût, ou au contraire rechercher une sorte d'ascèse zen dans des tonalités plus sombres par l'utilisation d'encrages ou de pigments argentés qui peuvent évoquer la peinture traditionnelle asiatique. J'aime passer de l'un à l'autre pour éviter de me lasser moi-même et continuer à me surprendre. J'ai la chance de posséder encore dans mon atelier grenoblois le nuancier de verres antiques colorés de mon arrière grand-père, le maître verrier Louis Balmet qui a réalisé des vitraux dans le monde entier depuis Grenoble. C'est probablement une source d'inspiration inconsciente puisque je l'ai très régulièrement sous les yeux dès que je travaille à Grenoble. Parallèlement à ton travail dartiste,tu es professeur-enseignant à lÉcole Supérieure dArt de Montpellier depuis 2012. Une nouvelle corde à ton arc ! Et qui constitue certainement un enrichissement supplémentaire par des rencontres, et une dialectique permanente dans ton parcours artistique. L'enseignement dans cette école des Beaux-arts de Montpellier est un vrai bonheur depuis 2012. La transmission est une chose très importante et l'éducation à l'art me paraît primordial. J'y enseigne le dessin et la peinture, et j'aime faire découvrir des artistes aux étudiants souvent par des moyens audiovisuels, puis travailler en atelier avec eux et les faire progresser lentement dans leur prise de conscience de leurs capacités, les pousser à aller vers le meilleur avec mes conseils et références. Notre école devient avec l'arrivée de Nicolas Bourriaud comme directeur, l'ESBA / MOCO. Il vient de créer un triple pôle appelé MOCO pour Montpellier Contemporain, centré sur l'art avec une école d'art, un centre d'art appelé la Panacée et un futur Musée centré sur les collections privées dans l'Hôtel Montcalm, le tout situé dans le centre de Montpellier. J'aime l'idée de vivre, circuler et de travailler dans trois villes différentes. Entre Paris, Grenoble et Montpellier, j'ai de quoi satisfaire ma curiosité. Hans Ulrich Obrist que j'avais rencontré en 2004 à Paris m'avait dit qu'il fallait avoir au moins deux villes. Trois c'est encore mieux ! La poétique de tes uvres ? Elle semble se manifester de plusieurs façons, peut-être par le choix des titres des uvres, des expositions en anglais, par le lien que tu crées avec nos souvenirs et nos affects dans tes « paysages » qui relèvent du sublime Je crois que la puissance poétique d'une uvre dans le champ de la peinture doit avant tout être amenée par ses qualités plastiques et sa puissance formelle, même si un titre peut lui apporter une orientation de lecture. J'aime les uvres ouvertes et je considère mes titres comme des axes de lectures possibles mais pas univoques. J'ai beaucoup utilisé pour mes expositions des titres du chanteur Prince comme Under the Cherry Moon ou Somewhere here on earth. Les titres Waterfalls, Ink Mountains, Silver Mountains, White Lake, White Rain, sont souvent les premières idées qui me viennent, comme s'il s'agissait justement d'un titre de chanson. J'ai grandi avec la musique américaine et j'aime rendre hommage de temps en temps à des figures héroïques de la culture pop. Il est difficile pour moi de parler de la réception de mes uvres mais certains y voient une mélancolie, un certain sublime lié au déchaînement des éléments naturels, ou au contraire un calme apaisant et contemplatif dans d'autres uvres. Là aussi, comme dans mes Rorschach, les projections et lectures du spectateur complètent toujours l'expérience de luvre. Dans le monde de lart moderne et contemporain, peintres, photographes, architectes, quelles sont tes références essentielles, et quelles ont été tes toutes premières « rencontres » artistiques ? Il y en a de trop nombreuses pour être ici citées mais je pourrai dire que les deux premiers livres d'art que j'ai acheté étaient de beaux volumes sur Picasso et Van Gogh aux éditions Taschen. Puis j'ai beaucoup fréquenté le Musée de Grenoble, adolescent, qui possède une collection importante avec par exemple des tableaux de Matisse, Bonnard, Picasso, Klee, Soulages, Joan Mitchell, Zurbaran, Rubens, Morris Louis, Laurent Guétal etc ... J'ai eu la chance de connaître et fréquenter régulièrement la galerie Antoine de Galbert dans le quartier des antiquaires de Grenoble. Le Magasin CNAC de Grenoble, ses expositions d'artistes internationaux comme Mike Kelley ou Jim Shaw, et sa librairie ont aussi constitué une bonne formation à l'art contemporain. Passer énormément de temps dans les bibliothèques municipales, chez les libraires et constituer une bibliothèque personnelle est une des mes occupations. Je possède aujourd'hui plusieurs milliers de livres d'art entre Paris et Grenoble accumulés au fil de mes balades et visites chez les bouquinistes. Les artistes que je cite souvent comme des références sont Pierre Soulage, Brice Marden, Willem De Kooning, Cy Twombly, Kiki Smith, Silvia Bächli, Bernard Frize, Wolfgang Tillmans, Nan Goldin Pour ce qui est de l'architecture, j'aime beaucoup Tadao Ando, Renzo Piano ou Santiago Calatrava. J'ai éprouvé un immense plaisir l'année dernière à la visite de la chapelle de Ronchamp du Corbusier avec des amis lors d'un périple bâlois. L'architecture contemporaine en général m'intéresse beaucoup. La série de documentaires d'Arte de Richard Copans et Stan Neumann Architectures est passionnante. Continuons ! : dans le domaine littéraire et celui de la musique, quelles sont tes sensibilités ? Peut-être cela me vient-il de ma sensibilité plutôt abstraite pour la peinture mais je ne suis pas très intéressé par le roman et la narration. J'aime cependant des textes très ancrés dans le réel ou des essais. J'ai beaucoup lu des auteurs comme Hervé Guibert, Guillaume Dustan, Christine Angot, ou Michel Houellebecq, que j'ai eu la chance de rencontrer lors d'une Biennale de Lyon en 2007. Récemment, j'ai lu avec intérêt les trois livres d'Edouard Louis. J'aime beaucoup les livres liés aux artistes comme Vivre avec Picasso de Françoise Gilot et Carlton Lake qui m'a beaucoup plu. Les livres sur le marché de l'art et les galeristes m'ont aussi beaucoup intéressé tout comme les entretiens avec les artistes. J'aime aussi lire la presse artistique et mes nombreux voyages en train constituent d'excellents moments de lecture. La musique est très importante dans ma vie. J'ai commencé par un intérêt prononcé pour les musiques de films puis j'ai été très fan de Michael Jackson et Prince dont j'ai tous les disques et que j'ai eu la chance de voir en concert deux fois pour l'un et quatre fois pour l'autre. Je m'intéresse beaucoup au Jazz, à Keith Jarrett par exemple ou Brad Meldhau. Mon rapport au Japon passe aussi par Ryuichi Sakamoto et récemment, j'ai adoré le travail de James Blake dont j'ai emprunté le titre du dernier album The Colour in Anything pour mon exposition à la galerie Marielle Bouchard. J'aime aussi beaucoup les chanteurs-compositeurs comme Rufus Wainwright ou Tori Amos ou encore David Bowie, Bjork et Sufjan Stevens, et pour le classique, j'écoute plutôt Debussy, Ravel ou Rachmaninov. La Bande son du très beau film Call me by your name synthétise d'une curieuse manière plusieurs de mes intérêts musicaux. Tu cites à linstant le film « Call me by your name ».Quelle est ta sensibilité par rapport au cinéma ? Jai beaucoup aimé ce film que jai trouvé très réussi à tous points de vue et pour une fois, cest une histoire damour homosexuelle qui se passe plutôt bien dans un contexte ouvert et tolérant. Si cela peut aider quelques jeunes spectateurs à affirmer et assumer ce quils sont, ce sera déjà très bien. Le cinéma est un loisir et un plaisir qui mest très cher. Jaime y aller assez souvent et cest un vrai bonheur de découvrir des films dauteurs très différents régulièrement. Jaime fréquenter le Diagonal à Montpellier, le Club ou la Nef à Grenoble ou les MK2 à Paris et jai la chance davoir la Médiathèque Marguerite Duras juste à côté de chez moi à Paris, ce qui me permet demprunter très régulièrement des films du monde entier. Jaime beaucoup Alfred Hitchcock, Federico Fellini, James Ivory, Bernardo Bertolucci, Spike Lee, Larry Clark, Gus van Sant, ou par exemple le film Basquiat de Julian Schnabel. Jaime le cinéma Japonais avec Ozu qui me rappelle le temps passé au Japon avec les films Bonjour ou Le voyage à Tokyo. Japprécie aussi beaucoup Oshima, Imamura, Kinoshita ou les deux Kurosawa Akira et Kiyoshi. Jaime aussi beaucoup Stanley Kubrick. 2001 Lodyssée de lespace ou Shining ont ma préférence. Adolescent, jaimais beaucoup Gregg Araki qui était une bouffée doxygene pop et queer avec des films comme Nowhere ou The doom generation, une ouverture sur les questions de genre. Jai aussi vu beaucoup de films de Pasolini comme Théorème ou la Trilogie de la Vie. Jai aussi une grande passion pour Woody Allen dont jai vu et revu tous les films. Idem pour David Lynch ou encore Almodovar. Dans mes coups de cur récents, jai beaucoup aimé Eastern Boys par le réalisateur de 120 battements par minutes Robin Campillo. Japprécie beaucoup le cinéma français avec des réalisateurs comme Eric Rohmer, André Téchiné, Claude Chabrol, Alain Resnais, Louis Malle, Bertrand Blier, Xavier Beauvois, Alain Cavalier Il y en a tant !
Vivre six mois à la Villa Kujoyama de Kyoto, puisque mon compagnon Benoît Broisat qui est aussi artiste y était résident en 2010, a été une expérience inoubliable et extraordinaire à tous points de vue. Cela rend nostalgique dès que l'on parle du Japon, et les français qui ont vécu cette expérience semblent s'entendre et se comprendre là dessus. Cela fait des points communs et nous avons plaisir à revoir des amis qui y sont passés comme les architectes Olivier Boucheron et Rozenn Kervalla ou les cinéastes Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci. A kyoto, nous avons pu expérimenter la céramique pendant trois semaines à l'Université d'art et de Design, puis j'ai énormément travaillé à la Villa sur quantité de papiers avec des encres plus ou moins rares et une quantité de nouveaux ustensiles. J'ai eu l'idée de l'inversion dans une sorte de négatif des Ink Mountains à lorigine en noir sur blanc, vers les Silver Mountains en argent sur papier noir, puisque j'avais trouvé des chutes de papier noir sous un escalier de la Villa Kujoyama, et que je travaillais à ce moment là en numérique à des badges pour le Centre d'art Bastille réalisés en deux versions, positif et négatif. A la fin du séjour, j'ai pu exposer les uvres produites à l'Institut franco-Japonais du Kansaï de Kyoto et ce fut l'occasion d'un beau vernissage et de belles rencontres avec le public japonais. La fréquentation des musées japonais, des temples, des jardins, des boutiques d'antiquités des librairies et papeteries de Kyoto, le sentiment de liberté que procurent les promenades à vélo au bord de la rivière Kamo, la présence des cigales, de la forêt, des sangliers, des singes près de la Villa, la beauté des objets, de la céramique et de la nourriture, tout cela nous fait relativiser les valeurs occidentales et ré-interroger les frontières entre art et artisanat d'art qui n'existent pas vraiment là bas. On retrouve dans les dessins animés de Miyazaki beaucoup de sensations typiquement japonaises et surtout kyotoïtes. Le Japon reste une expérience inoubliable, mais dautres pays, proches ou moins proches, ont contribué à nourrir ta culture artistique. Peux-tu en évoquer certains pour nous ? Jai eu la chance pour mon premier grand voyage en dehors de lEurope de vivre une dizaine de jours en hiver à New York en 2007 juste à coté de Central Park et ce fut loccasion de nombreuses visites de tous les musée de la Ville, le MET, le MOMA, Le PS1, le Guggenheim, la Frick Collection ... Ce fut loccasion dune confrontation à la réalité fantasmée dune ville qui a fait rêver de nombreux artistes pendant des décennies. Jai aussi visité lArmory show, ses foires off, toutes les galeries importantes pour au final me rendre compte que Paris et la France, ses musées, ses foires et ses galeries était un contexte artistique qui navait pas grand-chose à envier à New York en terme de qualité et cela mavait donc conforté dans mon choix de Paris. Jai aussi séjourné à Londres que jaime beaucoup en 2008 et 2016, au Japon en 2010 puis Berlin en 2011. Jai découvert Bruxelles en 2013 puis jai été invité à y résider plus longtemps en 2014 grâce au Collectionneur Olivier Gevart qui mavait proposé de participer à lexposition Trois collectionneurs autrement #3 dans son lieu dart privé Été 78 où jai donc présenté une partie de ma collection aux côté de deux collectionneurs belges. Bruxelles est une ville qui me plaît beaucoup et où jaime retourner maintenant chaque année pendant Art Brussels , moment où une activité artistique très intense se fait sentir dans toute la ville et où lon peut découvrir sa richesse. Je suis retourné trois semaines au Japon en 2014 pour un deuxième séjour merveilleux, cette fois un peu plus concentré sur Tokyo où jai passé deux semaines. Jai revu la première semaine des amis artistes de Kyoto comme Soshi Matsunobe et Takashi Suzuki. Séjourner à Tokyo ma permis ensuite de rencontrer des galeristes et de revoir des institutionnels formidables qui mont même ouvert le Musée du MOT exceptionnellement, pour une visite privée, pendant le montage dune exposition de jeunes artistes japonais alors en plein travail comme Kana Yoshida avec laquelle jai échangé des uvres par la suite. Je voudrais citer, pour finir, le choix que tu as fait dune collection personnelle. Je connais limportance quelle revêt pour toi ; tous les artistes nont pas cette démarche. Quelle en est la signification ? Que tapporte-t-elle ? Etre un artiste-collectionneur, c'est quelque chose que j'ai commencé en sortant de l'école d'art de Grenoble avec mes camarades de promotion en 2003 puis j'ai enchaîné par des premiers achats, à des prix très modiques dans des ventes caritatives. Je suis ensuite revenu aux échanges avec des artistes avec lesquels j'étais en confiance, et cela s'est amplifié jusqu'à constituer un ensemble de plus de 300 uvres d'artistes internationaux. J'ai montré des extraits de cette collection lors d'une double exposition en 2014 dans la grande galerie de l'Ecole d'art de Grenoble, et au VOG de Fontaine, puis en 2016 à Bruxelles pendant la foire Art Brussels, invité par le collectionneur Olivier Gevart qui montre régulièrement des collections atypiques dans son centre d'art privé Eté 78. Cette collection est constituée à quatre-vingt dix pour cent d'échanges entre artistes que j'ai initiés à la suite de coup de curs dans les galeries et foires, de rencontres, des hasards dexpositions communes ou de ma prospection sur les réseaux sociaux ; mais uniquement avec des artistes dont le travail m'intéresse. Comme il s'agit d'échanges, il faut que la réciproque soit vrai pour que cela fonctionne. J'apprécie beaucoup les visites d'ateliers et c'est mon mode d'échange préféré mais ce n'est pas toujours possible, alors, les envois postaux sont aussi nombreux. Recevoir de temps en temps des uvres venues du monde entier par la poste est un grand bonheur et cette activité périphérique du métier d'artiste me procure beaucoup de plaisir. C'est pourquoi j'aime ré-exposer ces uvres car elles ont aussi des vertus éducatives auprès du grand public ou de mes étudiants à qui je parle régulièrement de mes acquisitions. J'ai par exemple dernièrement échangé des uvres avec Michel Blazy, Hans Op de Beeck, Marc Bauer, Didier Rittener, Harald Kröner, Morgane Tschiember ... J'ai aussi acheté récemment pour des sommes très modestes des éditions de Wolfgang Tillmans, Elsa Sahal, Mathieu Mercier, Gyan Panchal. Collectionner l'art contemporain est tout à fait accessible au très grand public sil s'informe et s'il est curieux. Et on parle là d'art contemporain pointu et reconnu et non d'artistes amateurs Mon prochain projet important après mes trois expositions grenobloises, sera une double exposition pour l'été 2020 de mon propre travail et de ma collection au Pavillon carré de Baudouin dans le XX ème arrondissement de Paris que j'habite. C'est un très beau lieu de 400 m2, une maison inspirée de Palladio, folie architecturale du dix-huitième siècle en plein Ménilmontant. |