Gilles Balmet

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TEXTE DE BENEDICTE RAMADE / Modus operandi / Février 2009

Catalogue de l'exposition Sometimes it snows in april au VOG à Fontaine du 2 avril au 16 Mai 2009.

 

Modus operandi

" …. La seconde sorte de macule s'exécute avec l'encre la plus noire, les dessins qui en sont tirés étant exécutés sur du papier transparent ; ou encore sur du papier ordinaire placé sur un cadre conçu à cet effet, équipé d'une vitre transparente pour les petits formats et de gaze tendue pour les plus grands, à poser debout sur une table, entre le dessinateur et la lumière.
Le plus sûr moyen de produire une grande variété de petites formes accidentelles est de froisser dans la main le papier sur lequel vous allez faire votre macule, puis de le tendre à nouveau.

Les macules peuvent être plus ou moins intelligibles ou correctes, à un degré ou à un autre ; mais dans cet ouvrage, elles sont données sous une forme extrêmement grossière, afin de pouvoir s'adapter au mieux aux capacités des débutants. " 1


Les mots écrits par Alexander Cozens résonnent étrangement au regard des œuvres noir et blanc de Gilles Balmet même si le jeune homme en appelle plus à une observation de l'art d'un Brice Marden qu'à cet artiste méconnu du 18e siècle britannique. Mais bien que plus de trois cent ans les séparent, la méthode que déploie Cozens, trouve une singulière et troublante contemporanéité dans certaines des œuvres de Balmet. En 1786, il publie A new method of assisting the invenion in drawing original composition of landscape, un ouvrage court où il y explique son art de l'assemblage des accidents. Avec le " blotting ", il radicalise une approche structurante et compositionnelle à partir de taches d'encre plus ou moins diluées : " On perd trop de temps à copier les ouvrages d'autrui… et l'on passe trop de temps à copier les paysages de la nature elle-même ". Ainsi élabore t'il selon un protocole qui ne doit rien à une impulsivité incontrôlée ou une quelconque célébration de l'inconscient, un art du paysage sensible qui inspirera nombre d'intellectuels, de Rorschach aux Surréalistes. Gilles Balmet exerce aussi ce principe matriciel de la tache, de la coulure. Mais ses Rorschach à lui (Untitled) sont mâtinés de dripping " à la Pollock " zestés d'un pliage " à la Hantaï ". Non pour générer une quelconque déviance mais davantage pour livrer les méthodes auxquelles il aime s'astreindre à une sorte d'entropie. Il n'y a pas vraiment de hasard mais davantage une lutte acharnée pour se dessaisir de la maîtrise sans s'abandonner à l'illusion de l'incontrôlé. Balmet sait quelles chimères il peut nourrir et abandonner totalement son geste n'est pas une condition à la politique de son geste. Qu'il se déplace autour de ses toiles et papiers posés au sol de son atelier, qu'il froisse ses supports, les fasse tremper, les malmène, les baigne, il ne perd jamais le droit fil de son intentionalité. Ainsi s'empare t-il du symbole de l'inconscient, les tests de Rorschach pour les transformer en motifs. Moins une éloge à l'inconscient que l'application pop de la répétition, un exercice de style qui fait glisser l'icône vers le motif dans la logique désacralisante du post-moderniste. En même temps, le 'sujet' est loin d'être un hasard, bien choisi parce que de telles psychométries véhiculent une stratégie de polarités : subjectivité/objectivité, abstrait/concret, synthétique/analytique. Et ainsi de pointer cette qualité essentielle de l'art de Gilles Balmet, cette permanente oscillation entre figuration et abstraction, cette propension à révéler les sentiments, les états d'introspection qui s'épanouissent dans un entre-deux. Ce qu'Harold Rosenberg appelait des anxious objects et que Dario Gamboni qualifie d'images potentielles, ces formes et ces images ouvertes jusqu'à l'indétermination de leur champ d'action, constituent le nerf de la pratique de Balmet.
Au spectateur de détailler les surfaces, de se laisser absorber dans les vidéos pour mieux opter pour une logique déductive. Allusif, le monde empirique de ce jeune artiste se sert néanmoins d'une certaine sécheresse classique ; d'œuvres qu'on dirait tout droit sorties de gravures de Goya ou Fantin-Latour comme Anywhere out of the world (issue d'un processus complexe de pochoirs et destructions des formes) jusqu'à la régularité de paysages presque zen (Winterdreams). Dans les Mauvaises herbes, réalisées à l'aide d'un compresseur qui envoie " balader " la matière, les œuvres se chargent d'une violence sourde et dramatique. Les structures empathiques fonctionnent comme un écran de projection : tantôt structure concrète et abstraite, tantôt paysage forestier désolé barré par quelques lignes de crêtes. Balmet sait embarquer avec douceur le regard dans ses pérégrinations. " Faire une esquisse, c'est dessiner des idées ; tacher, c'est les suggérer " écrivait encore Cozens, poursuivant que sa technique permettait de " voir véritablement ". Dans les œuvres de Balmet, on retrouve cette donnée suggestive et néanmoins précise. D'ailleurs, il pousse souvent le regard à l'observation, cette façon de se plonger dans la matière d'une façon quasi hypnotique. Et le fantasme de la parfaite symétrie y participe grandement. A côté des objets et des compositions plus anxiogènes parce que malaxées, se parant d'informe, la symétrie ordonne des vidéos et conditionne avec assurance le visiteur. Qu'il regarde de la poudre de fer glisser le long d'une plaque de verre, un jeu de bâtonnets se plier à un ordre dont la règle échappe, il s'accroche avec la même incandescence à l'interprétation. De prime abord qualifiée par la simplicité des situations, elle se prend à flotter. La qualité immersive des images est en effet un redoutable levier à l'interprétation et entretient la schizophrénie des sujets actionnés par Balmet. Actionnés plus que mis en scène car le faire de ces œuvres est essentiel tout comme leur pragmatisme. C'est cette articulation du physique, de la manipulation à la forme finale contrôlée et assagie qui offre aux surfaces leur résonance. Une méthode de travail sensible.

Bénédicte Ramade

1 Alexander Cozens, Nouvelle méthode pour assister l'invention dans le dessin de compositions originales de paysage, Allia, Paris, 2005.

 

ENGLISH TRANSLATION

 

Modus operandi

Bénédicte Ramade

«The second sort of macula is produced with the blackest ink, the resulting drawings being executed on transparent paper, or again on ordinary paper placed on a special frame, with a glass cover for the small formats and stretched gauze for the larger ones, to be stood on a table between the artist and the light. The best way of producing a large variety of accidental forms is to crumple the paper one is going to use to make a macula, then
smooth it out again.

Maculae can be more or less intelligible or correct, to one degree or another; but here they will be given in an extremely approximate form, so that they can best be adapted to the abilities of the
beginner.»1

Alexander Cozens’ words sound strange in relation to the blackand- white works of Gilles Balmet, who might be thought to have more in common with Brice Marden than with an obscure 18thcentury
British artist. But although more than two hundred years separate them, Cozens’ method finds a singular, and unsettling, contemporaneity in some of Balmet’s works. It was in 1785 that Cozens published his “new method”, a short work in which he explained his art of putting together “accidents”. With his “blotting” technique, he radicalised a structuring approach to composition through the use of more or less diluted ink blots. “We waste too
much time copying other people’s works […] and we spend too much time copying landscapes from Nature herself.” He used a protocol that owed nothing either to uncontrolled impulsiveness or a celebration of the unconscious to develop a sensorial landscape art that inspired a number of intellectuals, from Rorschach to the Surrealists. And Balmet also applies this matricial principle of the blot and the run. But his Rorschachs (Untitled) contain drippings in the manner of Pollock, with foldings à la Hantaï – not in order to generate any kind of deviance, but to impose entropy on the methods with which he constrains himself. It is not really a question of randomness, but rather a fierce struggle to free himself from control, without sacrificing anything to the illusion of non-control. He knows what chimeras he can cultivate, and totally giving up his method is not a precondition to its implementation. Whether he moves round the canvases and sheets of paper that he places on the ground in his studio, crumples his materials, macerates them or submerges them, he never loses the thread of his intentionality. He turns the Rorschach test, that symbol of the unconscious, into figures, but less as a eulogy than as a “pop” application of repetition, a formal exercise that turns the icon in the direction of the motif, in a debunking logic of postmodernism. At the same time, the “subject” is far from being random. It is judiciously chosen, because such psychometries imply a strategy of polarities: subjectivity-objectivity, abstract-concrete, synthetic-analytic. And this discloses the essential
quality of Balmet’s art, as a permanent oscillation between figuration and abstraction, with a propensity to reveal feelings and states of introspection that blossom in the betwixt and between. What Harold Rosenberg called “anxious objects”, and Dario Gamboni described as potential images – forms that are open all the way to the indeterminacy of their field of action – comprise the essence of Balmet’s work.

It is for the viewer to list the surfaces, and consent to be absorbed into the videos with the adoption of a deductive logic. The empirical world of this young artist, though allusive, nonetheless injects a certain classical dryness into works that could have come straight from Goya or Fantin-Latour’s engravings, e.g. Anywhere out of the world (which resulted from a complex interplay of stencils and the destruction of forms), or the Zen-like regularity of the Winterdreams landscapes. The Mauvaises herbes (“Weeds”), for which a compressor was used to send material scudding round, are pervaded by a muted but dramatic violence, with the empathic structures functioning as a projection screen: now a concrete, abstract structure, now a desolate forest landscape crossed by ridges. Balmet knows how to lead the eye along in his peregrinations. “Making a sketch means drawing ideas. Blotting means suggesting”, as Cozens also put it, adding that his technique made it possible to “truly see”. In Balmet’s works, one finds this suggestive yet precise datum. He often drives perception through to observation, as an almost-hypnotic plunge into matter. And the fantasy of perfect symmetry is also strongly present. Apart from objects and compositions that are more anxiogenic, because pushed over into formlessness, symmetry orders videos in a deft conditioning of the viewer, who, watching iron filings sliding down a glass plate, or a set of rods entering into an arrangement that evades reason, clings with equal fervour to an interpretation which, firstly predicated on the simplicity of the situation, then goes drifting off. The immersive quality of the images is in effect hermeneutically invaluable, and it maintains the schizophrenia of the subjects activated by Balmet – activated rather than dramatised, because the making of these works is as essential as their pragmatism. And it is the articulation of the physical, from the manipulation to the final form, controlled and subdued, that gives the surfaces their resonance. A sensitive working method.

1. In Alexander Cozens, A New Method of Assisting the Invention in Drawing Original
Compositions of Landscape, 1785.